À l’invitation du Musée de la civilisation, nous avons réfléchi au thème Liberté! Liberté? De ce point d’exclamation suivi d’un point d’interrogation, nous avons tiré ces dichotomies : liberté / contrainte; enthousiasme / désenchantement; avantage / désavantage. Or, il nous est très vite apparu que nous devions aborder ce thème sous l’angle des libertés nouvelles que procurent les technologies Web de communication. On y retrouve en effet des dichotomies semblables : abolition des distances, mais immatérialité des relations; apparition de nouveaux territoires électroniques, mais menace de la vie privée; multiplication des possibilités techniques, mais dépendance technologiques au quotidien. Le filon était riche et pertinent. 

Pour cette proposition, nous avons renoué avec le cabaret littéraire musical et festif. Le thème littéraire fut simplement celui de la liberté. Les trois poètes invités ont reçu cette contrainte qu’ils devaient lire un texte original dont l’écriture fut inspirée d’un texte tiré du corpus « historique » de la poésie québécoise portant également sur la liberté. La tâche de choisir les poètes ainsi que les textes « historiques » qui leur furent associés incomba au commissaire littéraire et animateur de la soirée, Thierry Bissonnette (alias Thierry Dimanche). 

Grâce aux technologies Web de communication, ce poète — bête de scène et professeur de littérature—  anima la soirée depuis son domicile reculé des contrées minières du nord de l'Ontario. Les prestations des poètes Isabelle Forest, Martin-Pierre Tremblay et Jonathan Lamy firent écho à des voix plus anciennes du corpus historique de la poésie québécoise, apparaissant sur scène tels des fantômes ayant surgi du passé. Le tout enveloppé de la musique de la formation Magtogoek, composée de cinq musiciens dirigés par le compositeur-interprète Mathieu Campagna.

Poésie entre papiers et patoises

Le techno-cabaret littéraire Liberté ! Liberté ? sʼest déployé le 19 novembre dernier au fil de textes riches et de musiques volant entre force et douceur. Ambiance tout à propos pour cette réunion discrète de poésies réapparues, au Musée de la civilisation. Impossible de se lancer dans le projet scénique dʼune rencontre poétique publique sans revenir un temps sur lʼeffervescence québécoise de jadis. Cʼest en effet la mémoire pleine du Refus global, de la Nuit de la poésie de 1970 ainsi que de la question incontournable de la libération nationale que sʼest déclenchée cette charmante soirée. Il faut dire, le thème de la liberté se promenait par-ci par-là, dans les œuvres – actuelles, pour leur part – dʼIsabelle Forest, Martin-Pierre Tremblay, Jonathan Lamy et lʼanimateur Thierry Dimanche. Ce nʼest pas avec moins de chuchotis et de silences éloquents quʼont été reçus certains de nos souvenirs les plus beaux – Claude Gauvreau et Pauline Harvey, pour ne nommer que ceux-là. Schizophrénie qui nʼen est pas vraiment une, qui nous permet de prendre élan dans le passé pour sʼélancer dans le futur. À cœur ouvert, les poésies dʼici et de maintenant nous ont fait frissonner en répondant aux divers appels lancés par les poètes dʼautrefois. Jeu historico-actuel auquel se sont superposés les tweets en direct de ceux qui sʼadonnait à commenter lʼexpérience en cours. De même, les mouvements imprévisibles et inimitables (liberté ?) de lʼanimateur étaient transmis sur scène, en simultané par webcam. Le spectateur a eu droit à une pluralité dʼétats dʼesprit synchronisés : une multitâche sʼaccomplissant avec beaucoup de plaisir, et autant de concentration. 


Même sʼil a été déroutant de vivre le spectacle en compagnie de toutes ces réactions – et que, par moments, lʼintention derrière cet aménagement semblait nous échapper – lʼévènement a fait preuve de fluidité. Lʼinvitation au public 2.0 était là, dans sa version bêta. Les expressions spontanées permises via Twitter et lʼanimation virtuelle laissaient tantôt dans lʼincongruité, tantôt dans un vague sentiment de sʼêtre fait enlevés les mots de la tête. Intéressant.

Les points chauds de la soirée ont sans contredit été marqués par le groupe Magtogoek. Que ce soit dans un poème musical de 2 minutes ou différentes pièces plutôt irrésistibles, Mathieu Campagna et sa bande ont déversé un flot de charmes. Entre fa dièse, métonymies et dialecte électronique, on a hâte à l'an prochain. 


Perle Fostokjian, Impact campus, 22 novembre 2011