Notre deuxième épisode
Pour le deuxième épisode de La haine de la poésie, nous rencontrons Jean-Pierre Masse et Louise Dupré dans le confort de leur maison. En interview, Jean-Pierre tente de définir deux démarches de la poésie, la poésie avec les mots et la poésie avec les images et les sons. Pour lui, le langage des sons et des images, notamment le langage cinématographique, est susceptible de s’inscrire dans une démarche poétique. Il nous parle également de ce qui l’a mené à s’intéresser à la poésie et nous explique finalement la démarche derrière la Nuit de la poésie 1970, documentaire culte qui fête ses cinquante ans cette année. Louise Dupré nous lit par la suite un extrait de son recueil La main hantée publié en 2016 aux éditions du Noroît.
La discussion avec Simon Dumas a provoqué chez moi une réflexion que je n'avais pas faite encore. Lui, dans ses spectacles, et moi, dans mes films, nous sortons la poésie du livre. Nous lui donnons une existence différente sur la scène et à l'écran. Je me suis rendu compte que la poésie n'existe pas uniquement par le langage : le visuel et le sonore peuvent être de nature poétique... même sans les mots. La poésie touche alors un public qu'elle ne rejoindrait pas autrement. Avouons-le, les gens n'iront pas spontanément vers la poésie. Mais en chacun de nous, il y a un poète qui souvent s'ignore. Discuter avec quelqu'un qui met en scène la poésie a été particulièrement intéressant pour moi. Je suis maintenant plus conscient que, si nous retirons l'œuvre des mains de l'auteur, ce n'est pas pour la lui enlever, mais pour en révéler des possibilités insoupçonnées.
— Jean-Pierre Masse
Cette discussion a été stimulante pour moi. Sauf dans le milieu universitaire, on a rarement l'occasion de discuter de poésie. Le concept de haine de la poésie, emprunté à Ben Lerner, se veut provocateur et me faire provoquer me permet toujours de préciser ma vision, de mieux la définir. Depuis l'enregistrement, j'ai continué à réfléchir. Je préfère parler de peur de la poésie que de haine : le lecteur et la lectrice ont peur de s'approcher de leurs émotions, peur d'entrer dans un langage qui ne respecte pas les codes du langage de communication, peur d'avoir l'air idiots s'ils proposent leur propre interprétation. Bref, ils ont peur du ridicule. La poésie est un pied de nez à la pensée formatée d'avance. Or, on vit dans un monde où il faut se montrer conformes et on craint les pratiques artistiques qui remettent en question nos habitudes. En nous le rappelant, cette initiative de Rhizome nous incite à nous montrer subversifs.
— Louise Dupré
Nos invité.e.s
Jean-Pierre Masse, réalisateur
Jean-Pierre Masse a réalisé une trentaine de films, dont beaucoup de documentaires engagés. Mentionnons entre autres le premier documentaire sur le Front de libération du Québec (FLQ), des films tournés en Haïti et en Angola, ainsi que les incontournables documentaires La nuit de la poésie 1970, 1980 et 1991, coréalisés avec Jean-Claude Labrecque. Il a été un des membres fondateurs du Vidéographe, où il a initié les artistes et citoyens à utiliser les équipements du centre. De 1976 à 2008, il a été professeur de cinéma à l'UQAM, contribuant à former un grand nombre de cinéastes québécois. Il a également participé à de nombreuses productions artistiques et éducatives.
© photo : Geneviève Bergeron-Dupré
Louise Dupré, poète
Poète, romancière et essayiste, Louise Dupré a fait paraître une vingtaine de titres, qui lui ont mérité de nombreux prix et distinctions. Parmi ses livres récents, mentionnons les recueils de poésie Plus haut que les flammes et La main hantée, publiés aux Éditions du Noroît et aux Éditions Bruno Doucey, ainsi que les romans L'album multicolore et Théo à jamais, chez Héliotrope. Récemment, elle a collaboré avec les Productions Rhizome dans le cadre du spectacle multimédia Plus haut que les flammes. Elle est membre de l'Académie des lettres du Québec.
© photo : Geneviève Bergeron-Dupré